Comment le surimi, une recette japonaise à base de poisson a-t-il pu devenir en à peine 30 ans, un incontournable de la modernité alimentaire française? Eric Birlouez, spécialiste de l’Histoire de l’alimentation et de la Sociologie des comportements alimentaires, s’est intéressé à cet étonnant phénomène.
Le « paradoxe du surimi »
Parfois critiqué, le surimi rencontre pourtant un réel succès auprès des Français. 3 Français sur 4 (76%) déclarent consommer du surimi, ne serait-ce qu’occasionnellement. 43% d’entre eux en consomment régulièrement, c’est‐à‐dire plusieurs fois par semaine (7%), une fois par semaine (11%) et plusieurs fois par mois (25%). Une majeure partie des consommateurs, 39%, déclare consommer du surimi une fois par mois.(Enquête CSA‐ETF, mars 2014).
Les raisons d’un succès aussi rapide qu’inattendu.
A priori, rien ne prédestinait une recette originaire d’un pays aussi éloigné du nôtre sur le plan géographique et culturel à s’installer en seulement trois décennies dans notre répertoire alimentaire. Mais le bâtonnet de surimi disposait de nombreux atouts… Outre son prix modéré, c’est sa grande facilité d’emploi qui a d’abord séduit. Cette simplicité d’usage s’est trouvée en phase avec les modes de vie actuels et les changements de comportements alimentaires qui en ont résulté.
Par ailleurs le surimi, comme les sushis ‐ une autre success story – se référait à l’univers des produits de la mer et à son imaginaire. C’est‐à‐dire à un aliment spontanément perçu comme bon pour la santé et pour la ligne (car riche en protéines, en vitamines et en oméga 3 tout en étant peu calorique). Un produit sain et léger donc, également symbole de fraîcheur et de simplicité… tout cela sous une forme « prête à consommer » très attractive et, de surcroît, ludique (des petits bâtonnets de couleur orangée).
Un troisième ingrédient du succès du surimi a sans doute été son caractère nouveau, ainsi que (pour certains consommateurs au moins), la touche d’originalité, voire d’exotisme, qu’il apportait au quotidien alimentaire. Contrairement aux générations qui les ont précédés, les Français d’aujourd’hui sont de moins en moins « gastrocentrés » : ils ne considèrent plus que leur cuisine est la seule digne de ce nom. Au contraire, ils se montrent de plus en plus ouverts aux autres cultures alimentaires, apprécient les « cuisines du monde », aiment découvrir les produits venus d’ailleurs.
Un produit en phase avec les modes de vie et les rythmes actuels
Parmi les évolutions ayant le plus affecté le style d’alimentation des Français au cours des dernières décennies, figurent la diminution de la consommation d’aliments bruts ainsi que l’essor des produits prêts à l’emploi (CREDOC, enquêtes CAF et CCAF de 1995 à 2010).
Produit prêt à l’emploi à consommer à tout moment, le surimi fait partie de ces aliments qui, progressivement, se sont imposés dans l’alimentation des Français en raison de leur grande praticité. Ces avantages sont attribués au surimi par 93% des interviewés de l’enquête CSA, incluant les non‐consommateurs de ce produit.
Un des premiers atouts du surimi est en effet sa grande adaptabilité à tous les instants de consommation : il peut être consommé dans des contextes variés (lors du déjeuner, du dîner, à l’apéritif, en pique‐nique ou encore en snacking, chez soi ou hors domicile…) et peut être utilisé facilement et rapidement de nombreuses manières : dégusté tel quel, trempé dans des sauces, employé comme ingrédient d’une salade composée, etc.
La diversification des contextes et des modes de consommation est précisément une des caractéristiques majeures de l’évolution récente de nos comportements alimentaires. Certes, le schéma des trois repas par jour, pris à heures fixes et communes à tous, et partagés avec d’autres convives, constitue toujours un des traits majeurs du « modèle alimentaire français ». Le temps de préparation des repas n’a cessé de se réduire et la notion même de repas s’est désacralisée. Pour les jeunes générations, le surimi est devenu un produit de snacking comme un autre : dans la tranche des 18‐24 ans, 60% des consommateurs de surimi mangent ce produit souvent ou de temps en temps en encas, contre seulement 32% chez les plus de 65 ans. Avec ses qualités nutritionnelles reconnues, le surimi est en effet considéré comme légitime par les parents pour combler les petites faims des ados, davantage que des produits sucrés par exemple.
Un aliment qui s’inscrit dans le processus de simplification des repas.
La simplification de la structure des repas ‐ passage de 4 à 3 puis à 2 composantes en moyenne ‐ représente une des évolutions les plus marquantes de notre alimentation. Sous la pression des rythmes de vie, de la crise économique et de la diététique, la sacro‐sainte séquence traditionnelle – entrée, plat, fromage, dessert – appartient désormais au passé. Les repas traditionnels sont remplacés par des formules plus simples à mettre en oeuvre, demandant moins de temps de préparation et souvent plus conviviales. Le plat unique s’impose donc de plus en plus et, dans ce contexte, la « grande salade complète » est en hausse… le surimi pouvant alors constituer un des ingrédients de cette dernière.
L’apéritif se maintient et se transforme en dîner
De nouvelles habitudes de consommation ont également favorisé l’usage du surimi. C’est le cas, par exemple, de l’apéritif dans ses versions « tendance » de l’After Work et celles, déjà classiques, des cocktails et apéritifs dînatoires. Le picorage de dips à tremper dans des sauces légères, de tapas, verrines et autres Finger‐Food permet, sans investir dans les longs préparatifs d‘un dîner formel, de recevoir ses amis d’une façon décontractée, plus moderne et plus diététique. Dans ce contexte de l’apéritif revisité, le surimi a trouvé sa place : plus d’un adepte sur deux de ce produit (55 %) déclare le consommer à ce moment‐là (entre autres occasions).
Près de trois Français sur quatre invitent « souvent » (36 %) ou « de temps en temps » (35 %) d’autres personnes à prendre l’apéritif. Et 22 % de nos concitoyens affirment que la crise économique les a incités à remplacer des invitations à un repas par des invitations à un apéritif dînatoire (source : enquête Francéclat – Crédoc – 2009). A cet égard, la réduction du pouvoir d’achat rend encore plus attractif le surimi, un aliment au prix modéré.
L’essor des « nouvelles convivialités »
Les apéritifs dînatoires ne sont qu’une des nouvelles façons, parmi d’autres, de recevoir ou de retrouver ses proches et amis, ses voisins ou collègues. Parmi ces réceptions d’un nouveau type, on peut également citer l’invitation à un brunch le dimanche matin ou à un pique‐nique urbain en soir de semaine (la proportion de personnes invitant « souvent » ou « de temps en temps » à un brunch est ainsi passée de 5 % en 2004 à 17 % en 2009).
Plus faciles à organiser, ces réceptions et moments de partage revêtent des formes jugées plus ludiques et originales. Ces « nouvelles convivialités » (l’expression est du CREDOC), qui mettent au premier plan le plaisir et la simplicité, n’ont pas pour autant détrôné des pratiques plus anciennes, comme la réception autour d’un buffet, pratiquée régulièrement par 1 Français sur 3, ou l’invitation autour d’un plateau‐télé.
Toutes se sont développées au détriment de l’invitation à un repas plus traditionnel : si en 2004, 73 % des Français invitaient au moins une fois par mois à déjeuner ou à dîner, cinq années plus tard ils ne sont plus que 66 % à continuer à le faire.
Le surimi trouve aisément sa place dans ces façons, plus informelles, de recevoir des invités ou de se nourrir en famille. Cela n’empêche pas qu’à d’autres moments un investissement culinaire important puisse être consenti (cf. le retour de la cuisine‐maison, principalement le week‐end et pendant les vacances). A cet égard, une autre tendance est observée : celle qui consiste à préparer un vrai repas tout en intégrant des produits « prêts à l’emploi »… comme le surimi.
Au regard de ces nouvelles manières de se nourrir, le surimi est perçu par 80 % des personnes enquêtées par CSA (et par 88% de ceux qui en consomment) comme « un aliment moderne ». Mais presque tous les Français ignorent que dans sa version traditionnelle et artisanale, le surimi a été créé au Japon il y a… quatre siècles !
Un aliment consensuel, autant apprécié par les enfants que par leurs parents
Un autre atout majeur attribué au surimi réside dans le fait que c’est un aliment « apprécié des enfants » (selon 74 % des enquêtés, qu’ils soient ou non consommateurs). Or, les enfants, désormais autorisés à exprimer ouvertement leurs préférences alimentaires, sont écoutés par leurs parents au moment des achats, ce qui profite, entre autres, au surimi qu’ils plébiscitent.
Des attentes émergentes pour une meilleure connaissance de l’alimentation : un atout pour le surimi
Au cours de ces dernières années, de nouvelles attentes vis‐à‐vis des produits alimentaires sont apparues au sein de la société française. L’une des plus fortes réside dans le souhait des consommateurs de connaître la composition des produits alimentaires qu’ils achètent, ainsi que leur mode de fabrication.
Concernant la composition du surimi, la quasi‐totalité des Français manifeste soit une ignorance soit une vision fausse… Ainsi, 22 % d’entre eux ne savent pas de quoi est constitué l’ingrédient « poisson » utilisé dans la recette du surimi, tandis que 71 % imaginent qu’il s’agit de poissons entiers (25 %) voire même de restes comme les queues, les têtes ou les viscères (46 %), alors que le surimi n’intègre que de la chair de poisson. Seuls 7 % savent que le poisson entrant dans la composition du surimi provient « des parties nobles » de ce dernier.